Adopter une orientation client et le marketing qui en découle nécessite que l’on parte du client pour comprendre ses besoins et que l’on construise ensuite l’offre en réponse.
Dans le cas d’un fournisseur de produit, la largeur de l’offre trop resserrée ne permet pas toujours de répondre aux besoins généraux. Parallèlement, le modèle B To B souvent observé en agriculture avec des forces de vente terrain limitées, ne permet pas, faute de moyen humain, de connaitre chaque agriculteur. Enfin, le modèle business de ces entreprises repose sur le produit : tout ce qui sera mis en œuvre, devra permettre de vendre plus de produits. L’approche client ne pourra donc pas se substituer à l’approche produit. Elle permettra une meilleure mise en valeur de l’offre produit.
Dans le cas de la distribution, la dépendance au produit est plus restreinte, l’étape du référencement permettant de confectionner une offre variée de produits et de solutions. Parallèlement, les coopératives comme les négoces sont bien plus que des centrales d’achats. Elles ciblent de nombreuses activités de l’exploitant et proposent la vente d’intrants mais aussi l’achat des productions, la vente de biens d’équipement et de matériel, la vente de services (conseils, assurances, financement) … avec un positionnement revendiqué, pour certaines, comme étant le prolongement de l’exploitation.
La vision 360° du client est donc indispensable. Ceci implique la connaissance de l’entreprise dans l’ensemble de ses activités (tous les ateliers de production, leur performance, leurs contraintes, mais aussi la relation, voire la dépendance technique et financière qui existent entre eux). Mais cela induit aussi et surtout la connaissance de l’agriculteur en tant que manager de l’entreprise, ses motivations, sa vision, son mode de prise de décision.
1. Vision systémique : une compréhension de l’économie de l’exploitation comme préambule
L’adoption d’une approche client n’est pas philosophique. Elle est un moyen d’optimiser la satisfaction client, notamment au travers du service, ceci afin d’augmenter son revenu par la maîtrise des coûts et l’optimisation de la production. L’approche systémique considère ainsi l’entreprise comme un ensemble de moyens matériels, immatériels, financiers et humains rassemblés pour produire et vendre biens et services sur un marché pour réaliser un profit.
L’exploitation n’est donc plus un simple lieu de production ni une juxtaposition d’activités qui vivent parallèlement et hermétiquement. Elle est votre client, son moyen de vivre, et son outil de production. Un ensemble d’activités interconnectées par la problématique et l’enjeu économique.
Comprendre et transpirer l’économie de l’entreprise devient donc un leitmotiv. Il ne s’agit pas de se substituer aux experts comptables. Mais il n’est pas possible de comprendre l’entreprise sans maîtriser à minima la structure du compte d’exploitation et les indicateurs majeurs de chaque grand type de populations d’agriculteurs rencontrés. Les grands ensembles et équilibres financiers, les marges brutes de chaque production, le poids de chaque production dans le revenu, les enjeux de trésorerie, le niveau d’endettement, le poids des charges financières, l’équilibre des charges opérationnelles et de structure, l’EBE à défaut du revenu pour ne pas être trop intrusif…:
Avec cette appréciation globale de l’économie de l’entreprise, les leviers de progression pourront être identifiés. Dans le cadre de l’accompagnement individuel, des objectifs communs et mesurables (SMART) avec l’agriculteur pourront être définis.
Cela permettra aussi de repositionner le débat et refixer certaines priorités avec l’agriculteur. Par exemple : l’enjeu est-il avant tout sur l’écart de prix du désherbant ou sur la commercialisation des cultures ? Doit-on continuer à proposer les mêmes services à un viticulteur producteur de raisin et à un vigneron qui vend en bouteille à la propriété ?
Cet apprentissage de la culture économique de l’exploitation concerne les interlocuteurs des agriculteurs mais aussi et surtout les managers de l’entreprise et les créateurs de l’offre.
2. Vision systémique : considérer l’individu « agriculteur » et sa motivation plutôt que son expertise technique
L’approche client oblige certes à appréhender l’exploitation dans sa globalité. Mais elle nécessite avant tout de considérer l’individu agriculteur en tant qu’artisan entrepreneur. La connaissance économique de l’exploitation n’est pas suffisante, les résultats n’étant que la conséquence du management et des choix de l’exploitant. Il est donc très important de comprendre ses motivations, la manière dont il prend ses décisions. Ceci est d’autant plus important que l’agriculteur, souvent seul dans son quotidien comme dans sa prise de décision, se doit d’être polyvalent, gestionnaire, manager, expert de la production mais aussi chauffeur, mécanicien, vétérinaire …
Quelle vision a-t-il de son métier ? Est-il plutôt attiré par l’expertise technique de production où par la gestion économique de ses activités ? A-t-il une vision mercantile de l’agriculture ou plutôt humaniste ? Se projette-t-il durablement ou cherche-t-il à transmettre? Comment prend-il ses décisions ?
Les questions sont nombreuses et la liste non exhaustive. Elles sont néanmoins cruciales pour intégrer des critères de comportement à la segmentation de votre clientèle. Ceci posera ensuite des questions de fonctionnement interne : Par exemple, un éleveur et un céréalier, à SCOP équivalente, doivent-ils être abordés de la même façon, sachant qu’ils n’abordent pas l’atelier végétal ne la même façon, n’y accordent pas la même importance, le même temps … Même question entre un viticulteur livrant en cave coopérative et un vigneron vendant en majorité en bouteille à la propriété ? Ou encore entre un éleveur naisseur et un éleveur naisseur-engraisseur ? Ou enfin un agriculteur de 55 ans et un agriculteur de 40 ans …
3.L’approche client : une transformation profonde avec un rythme et une intensité de transformation à adapter
L’approche va nécessiter de bien positionner la connaissance client dans l’entreprise et dans ses process. Un calibrage clair (nature de l’information, hiérarchisation, valorisation …). Une gestion transversale et mutualisée de la donnée client mais avec un pilotage central pour qu’elle reste homogène et exploitable. Ceci implique souvent de revoir le système d’information, de s’équiper de nouvelles fonctions pour valoriser cette donnée. Enfin, cela implique aussi un changement comportemental dans le management de la donnée (qualification du CRM, homogénéisation, …)
L’approche systémique induit une gestion transversale du client et non plus par activité en silo. Elle oblige aussi à ne plus adresser l’agriculteur par une problématique technique. Faut-il avoir le conseiller de l’exploitation qui s’appuie sur des experts techniques ? Un conseiller de l’entreprise, qui en plus d’une expertise technique (lié à l’activité majeure de l’entreprise), porte la connaissance de l’exploitation dans l’entreprise ? Une consolidation centralisée de la vision de l’exploitation et une redescente vers les technico-commerciaux de terrain ? Il n’existe pas de schéma simple et unique. Cela dépendra de la maturité de l’approche dans l’entreprise, du degré de polyvalence des exploitations agricoles et de l’acceptation des agriculteurs.
L’enjeu RH, dans le recrutement comme dans la conduite du changement, est énorme d’autant que le milieu agricole est caractérisé par un turnover faible et une difficulté à attirer durablement les jeunes.
L’approche client va remettre en question le modèle business de l'entreprise, souvent basé sur le produit alors qu'il est question de service. Faut-il que l’offre produit-services soit dissociée ? Il n'existe pas de réponse unique car ce choix devra tenir compte de l’histoire du distributeur, de son positionnement actuel, de la nature et de l’intensité de la relation avec ses clients pour que la démarche soit comprise et acceptée.
A cela s’ajoute un changement de pilotage des équipes et des comptes clients. Il n’est plus question de gérer une consolidation de chiffres d’affaires ou de marges mais de gérer la saturation de la clientèle et sa satisfaction plutôt que son chiffre d’affaires. Cela induira aussi un ciblage, une priorisation et un management des portefeuilles au quotidien
Enfin, le changement d’approche devra s’accompagner d’un plan de communication auprès des agriculteurs dans la durée pour que cette démarche soit comprise et acceptée. En effet, avec un historique de relation commerciale et une approche produit, le changement brutal de posture pourrait être interprété comme un stratagème dans un processus d’intégration !
Faut-il après tout cela renoncer ? Aux distributeurs qui se projettent, l’approche client est incontournable. Il est cependant nécessaire d’adapter, de façon pragmatique, son déploiement dans l'intensité comme dans le rythme en valorisant le capital humain à disposition dans les effectifs en place. Il faudra certainement s'adjoindre des compétences complémentaires pour réussir ce changement !